(lulu) now i'm looking for you.

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(la fée)

La nuit tombe. La nuit m'enlace dans son manteau de noir, son manteau de rien, son manteau étoilé. Je respire, enfin. La nuit tombe et la lune monte, haut dans le ciel. Je ferme les yeux et l'air frais me fait me sentir vivante, encore plus vivante, toujours plus vivante. Je traverse le bout de forêt qui me sépare du lac d'un pas lent mais assuré et tous les muscles de mon corps me font souffrir. J'ai dansé. J'ai dansé tout l'après-midi. J'ai dansé pour moi, j'ai dansé pour eux, pour eux tous, pour eux seuls qui me regardaient. J'ai dansé pour le soleil, j'ai dansé pour ne pas aller pêcher, j'ai dansé pour leur sourire, leur rêve, leurs yeux qui brillent. J'ai dansé et ils ont applaudi. En silence. Seulement avec le regard. Ils n'ont rien dit, ils n'ont pas vraiment bougé, mais je savais alors je suis partie. Elle n'était pas là – et si elle était là, alors mes yeux ont fait exprès, c'est d'eux-même qu'ils ne sont pas posés sur elle, c'était volontaire, ils savaient, ils savaient que le reste ne suivrait pas.
J'ai dansé cet après-midi.
J'ai dansé pour eux. Peut-être ai-je dansé pour elle aussi.

Les arbres se font plus rares et j'entends déjà le bruit de l'eau qui dort, de l'eau qui danse, de l'eau qui ondule. Je souris. Ma respiration est lente et mon cœur, confiant. Pourtant, il ne sait pas. Il ne peut pas savoir. Peut-être qu'un jour, elle ne sera pas là. Peut-être qu'une nuit, comme moi, elle fuira. Peut-être qu'elle s'envolera, qu'elle rejoindra les étoiles, les pirates, les sirène et ces villes dont elle ne sait rien, dont je ne sais rien, mais qu'elle raconte, qu'elle raconte quand même, comme elle peut. Peut-être qu'elle arrêtera d'y croire, qu'elle trouvera une autre danseuse, une autre fille à observer avec des yeux qui brûlent presque, une autre fille à raconter, une autre fille à éclairer. Ou un garçon.
Ces questions, je ne me les pose pas. La nuit, j'y crois. Parce que la nuit est belle. Parce que la nuit est mienne. Et que si je l'y invite, alors la nuit est nôtre. Parce que le soleil n'est plus là, parce que l'obscurité nous protège, parce que personne ne peut nous voir, parce que nous sommes cachées. Juste elle. Juste moi. Et les étoiles.

Le masque, enfin, peut choir. Pour elle, je peux bien l'enlever, parce qu'elle sait. Je suis certaine qu'elle sait. Que, pour une raison qui m'est encore inconnue, elle lit dans mes yeux, dans mon corps. Elle me lit. Son regard, bleu, si bleu, me renvoie mon image en déformée. Mon image, mon visage, mais pas pareil. Pas comme les autres. Je frissonne. Elle est là. Si proche de l'eau. Si proche de moi. Un, deux, dix pas. Et elle est là.
Même de dos, je sais que c'est elle.
Je vois ses ailes.
Ses ailes de fées.

Il fait noir. Très noir. Trop noir ? C'est la nuit, déjà, qui a enveloppé Andesquacaon. Plus un bruit. Que le vent qui souffle doucement dans les feuilles des arbres qui frémissent à son contact. Comme une berceuse, douce berceuse, qui cherche à endormir l'enfant, à la faire rejoindre le monde des songes. Mais elle combat le sommeil, les yeux rivés sur la flamme qui danse devant ses yeux. Elle ne veut pas dormir, il ne faut pas. L'étincelle l'hypnotise, tout doucement. La garde éveillée. La distrait de ses pensées. Oui, elle ne pense plus à rien, plus qu'à la flammèche qui grignote l'obscurité. Petit à petit. Peut-être qu'il y a une fée, près d'elle, une fée-bougie, cachée, qui mange des petits bouts de noir. Sans doute. Lulu sourit. Merci la fée. Bref coup d’œil lancé dehors. Le silence résonne. C'est le moment, il doit être presque l'heure. Elle souffle sur la bougie, doucement, et elle s'éteint. La fée est repue. Doucement, elle s'éclipse hors de la cabane.

Elle court. Pieds nus, dans la nuit noire, elle court. Elle dépasse les cabanes, elle dépasse la place du village et les cultures. Elle court. Et ne s'arrête qu'au lac. Enfin, sa course folle se termine dans un éclat de rire essoufflé. Elle lève les yeux. Là-haut, les astres veillent. La lune l'éclaire, gentiment. Les étoiles surveillent. Elles sont belles, toutes. Lulu voudrait bien être une étoile. Mais elle est trop petite et trop enfant, pour être une étoile. Ce sont elles qui lui ont dit. Elle parle aux étoiles, Lulu, et elles lui répondent. Elle sait les déchiffrer. C'est sa bonne étoile, celle-là, un peu plus petite, à droite de la Grande Ourse, qui lui a appris. Elle lui dit que c'est une bonne soirée, que l'air est doux mais qu'il faut qu'elle fasse attention à ne pas attraper froid, dans sa petite chemise de nuit légère. L'inconsciente. Le lac fait refléter ses amies sur sa jolie surface qui miroite. Elle se penche, trempe sa main. Et trouble l'onde légère.

Malice au coin des lèvres. Elle sait qu'elle est là. Qu'elle approche, qu'elle arrive. Qu'elle la regarde. Elle le sent. Comment ne pas le sentir ? Doucement, elle se retourne. La nuit la rend plus calme. Ou bien est-ce parce qu'elle est là ? Parce qu'elle la regarde et qu'elle n'a plus aucune envie de partir à la poursuite d'une fée-papillon ? Elle ne peut rester immobile. Elle franchit les quelques pas qui les séparent encore. La lune brille de tout son éclat, pour qu'elle puisse dévorer le visage de Kishi. Peut-être y a-t-il une gentille fée-lune ? Une associée à son étoile qui la guette. Elles sont toutes proches, toutes les deux. Kishi et ses cheveux nuit, Kishi et ses yeux sans fond, Kishi et son baiser prêt à saisir, sur le coin de ses lèvres. Troublante.
Kishi. Qu'elle a attendu, comme tous les soirs. Comme toujours. Comme une ritournelle répétée encore et encore, une chorégraphie parfaitement au point, une mécanique bien huilée.
Kishi. Si belle et si lointaine la journée. Fascinante mais distante.
Kiski. Mais si elle tend la main le soir, la saisira-elle ?
Kishi. Tout près d'elle.
Kishi.

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(la fée)

La fée. Que serait-elle si elle n'était pas fée? Lune, étoile, flamme, étincelle. N'importe quoi mais quelque chose de lumineux. Quelque chose qui rassure. Quelque chose d'un peu fou aussi. D'un peu bancal, d'un peu bizarre. Quelque chose de pas comme les autres. Je reste immobile – je l'observe. Et j'écoute le silence. Le silence, infini et faux, de la nuit. Le silence du vent sur l'eau et dans les feuilles, le silence de ses pensées invisibles qui défilent au dessus de son crâne, le silence de mon cœur si calme alors qu'elle est si proche, le silence de nos corps immobiles dans la nuit noire. Je voudrais graver le moindre détail de la scène dans mon crâne. Pour m'en souvenir, si demain elle ne vient pas. Je pourrais dire, c'était bien, elle était belle, là, dos au lac, elle était belle.
C'est comme une première fois.
Chaque fois, c'est comme une première fois.
Comme si c'était une inconnue que je retrouvais dans la légèreté d'une nuit d'été. Une âme de passage qui ne restera que le temps de quelques heures. Une plume qui se déposerait le temps d'un rêve, d'une histoire, d'un ailleurs.

Mes yeux brûlent sûrement son dos et mon souffle me trahit peut-être. Elle se retourne et dans un éclat d'ailes, se retrouve à mes côtés. Je détaille son visage – et je ne dis rien, les mots au bord des lèvres.
À dire vrai, je ne la trouve pas vraiment belle. Elle n'est pas jolie non plus. Elle est elle. Différente.
Son visage est doux et ses yeux m'avalent. Son sourire m'arrache quelques plaintes silencieuses et sa peau est de velours. Ses histoires m'envolent. Et près d'elle, j'ai l'impression d'être quelqu'un. D'être utile, peut-être. Tout du moins, d'avoir ma place, là. Juste à côté d'elle. D'avoir le droit (si ce n'est le besoin, parfois) d'avaler son oxygène et de le garder au creux de moi. Un peu d'elle, mais pas trop.
Mon cœur se serre.
Et après?
Et demain matin?

Le bleu de ses yeux est adouci par la lueur, presque irréelle, de la lune qui veille. Pulsion. J'embrasse sa joue, le coin de ses lèvres, pas sa bouche, pas sa bouche, il est trop tôt pour embrasser sa bouche, sa bouche brûle, elle raconte des histoires, seulement, sa bouche brûle, je sais. Je sais que sa bouche brûle et qu'elle laisse une trace sur la mienne et que même la pluie, même le vent, même les autres, rien ne peut l'effacer. Pas sa bouche. Pas ce soir.
Bonsoir. Le mot reste en suspens, un instant. Le vent l'attrape au vol et l'éloigne un peu de nous. J'essaie de lui sourire. J'essaie de lui donner quelque chose. Un peu de moi, mais pas trop. Quelle chance de se croiser ici. La chance. Le hasard. Autant d'excuses pour ne pas dire que je l'espérais. Autant de mot pour ne pas dire que je voudrais qu'elle m'attende chaque soir, au bord du lac ou sur la plus haute des montagnes. Ne pas dire que je voudrais partager ses nuits. Que j'aime être avec elle. Que j'aime quand elle accepte de me donner un peu de sa chaleur.
Je suis le lézard.
Et j'aime qu'elle soit le soleil.

Silhouette immobile. Ardentes pupilles fixées sur la louve, en face d'elle. Est-ce qu'elle le sent, elle aussi ? Comme une tension dans l'air. Comme si l'instant, le silence et l'immobilité étaient sur le point de se déchirer. Est-ce que tu sens, Kishi ? Elle voudrait tendre la main, pour effleurer sa peau, la caresser doucement. Comme pour être sûre qu'elle est vraiment là. Es-tu un mirage, Kishi ? Une hallucination si douce. Cette nuit est un havre de paix, et tu es mon oasis.
Baiser volé, au coin des lèvres. Trop bref. Elle voudrait goûter ses lèvres. Trop tôt. Elle ne fera pas le premier pas. Elle risquerait de l'effrayer et l'étoile s'enfuirait. Pour toujours, peut-être. Elle sait que ça viendra.
La reconnaissez-vous, Lulu le feu follet, Lulu l'enfant terrible, dans ces réflexions ? Lulu, qui réfléchit. Lulu, qui décide d'attendre. C'est rare pour ne pas dire exceptionnel. Car Lulu l'impatiente n'attend pas. Elle fait ce qu'elle veut quand elle veut. Et tant pis pour le reste.

- Bonsoir. Elle a un timbre de voix particulier, un petit quelque chose qui la rend spéciale. Lulu n'arrive pas à mettre le doigt dessus. En réalité, elle ne veut pas. Elle veut que Kishi garde sa part de mystère. Qu'elle continue à la faire vibrer quand elle danse quand elle la regarde quand elle lui sourit quand elle l'embrasse.
Kishi qui vient semer le désordre dans l'esprit de tant d'hommes. Kishi, qui a tout à sa portée.
Pourquoi la choisirait-elle ? Qu'a-t-elle à lui proposer si ce n'est des histoires abracadabrantes, des jeux permanents, un peu de tendresse et ses yeux océan ? Peut-être bien, que ce n'est pas suffisant. Sans doute. Mais peu importe. Peu importe la journée, peu importe les autres. Rien ne compte sinon la nuit. Les douces nuits comme celles-ci, celles qui vous avalent et qui restent dans vos mémoires pour l'éternité. Celles qu'on voudrait qu'elles durent toujours.
- Quelle chance de se croiser ici. Un petit sourire se dessine sur les lèvres de Lulu. La chance. Quelle chance ? Celle des débuts, peut-être, celle de la première fois. Car il n'y a plus de chance depuis, pas plus que de hasard. Chaque soir, elle se glisse hors de son lit, et doucement s'échappe à toute jambe vers le lac. Ce n'est pas un hasard. C'est une habitude. Une habitude ? C'est si étonnant chez elle. Lulu vit au jour le jour, à l'heure pour l'heure. Elle ne répète pas les mêmes gestes, elle tourne tourne sans jamais s'arrêter, s'agite éternellement et jamais ne recommence. Mais elle a besoin d'une étoile. De son étoile. Alors elle vient. Elle oublie qu'elle refuse les habitudes, et chaque soir elle revient. Chaque soir, son cœur bat la chamade à l'idée qu'elle ne vienne pas. Et si un jour, sans crier gare, sans avertissement, sans rien, elle décide qu'elle ne veut plus ?
- Les étoiles aussi, te disent bonsoir. La lune te trouve belle ce soir. Tu vois comme elle brille pour toi ? Pour que je puisse te regarder un peu mieux. Elle tend la main, lentement, et ses doigts viennent chatouiller sa joue. Tout doucement, comme si elle cherchait à l'apprivoiser et qu'elle ne voulait pas l'effrayer. Comme si un geste trop brusque pouvait la faire fuir.

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(la fée)

Elle sourit. Voilà ce que je veux. Voilà ce que je désire vraiment, fort, si fort. Voilà ce qui me fait espérer à chaque coucher de soleil, voilà ce qui me fait veiller quand les autres rejoignent déjà leurs songes. Voilà pourquoi, chaque nuit, je cours et je rêve de m'envoler pour être encore plus vite auprès d'elle. Pour ses sourires. Ses sourires doux. Ses sourires qui allument les étoiles. Ses sourires qui, enfin, font battre mon cœur un peu plus fort. Un peu moins régulièrement.
Sourire qui comme un papillon vient se déposer sur mon crâne et qui, imperceptiblement, chatouille mes rares pensées d'un mouvement d'ailes. Sourire qui emporte avec lui les derniers doutes qui s'obstinaient à coller à ma peau. Sourire qui allume le mien, faible mais présent. Sourire que je voudrais transformer en rire, qui rebondirait sur le miroir d'eau et me percuterait ici ici et là aussi, pour me faire tomber tout à fait sur ce sol qui n'attend que moi, à ses pieds. Sourire que je voudrais effleurer, mais mes doigts restent immobiles, mes doigts attendent le bon moment, celui où le sourire se muera en baiser, où les yeux ne demanderont plus que ça, imploreront presque. Le bon moment. Doucement.

Douce habitude. Doux flot de mouvement chaque fois calculés mais différents toujours. Douce attente qui déchire les entrailles et qui réchauffe le corps. Un tout petit plus. Je suis fiévreuse. Lulu, j'ai de la fièvre. Dans tes histoires, les gens meurent-ils d'avoir trop chaud? Douce folie des sens même quand sa peau ne touche pas la mienne. Douce mélopée de nos souffles qui, ce soir comme hier, se connaissent mais ne se mélangent pas tout à fait. Le temps. Arrête le temps, Lulu. Claque des doigts.

Sa voix s'allume et me caresse le corps tout entier – d'un frisson sans fin. Les étoiles aussi, te disent bonsoir. La lune te trouve belle ce soir. Tu vois comme elle brille pour toi ? Pour que je puisse te regarder un peu mieux. Je secoue la tête. Elle rêve Lulu. Je suis la nuit. Je suis le noir. Si je veux, je disparais. Je me faufile et je ne suis plus. Ce n'est pas la Lune qui l'aidera. La Lune disparaît si je veux. La Lune s'éteint si je l'espère assez fort. Elle rêve Lulu. Et je voudrais ses rêves, tous ses rêves, écrits là, dans mes pensées, pour briller un peu, moi aussi. Je voudrais y croire. Y croire fort comme elle. Me lover dans ses histoires et y vivre. Plus d'une nuit.
Sa main effleure ma joue. Mon souffle est un peu plus court – un tout petit peu. Mes mots sont hachés. Il ne faut pas qu'elle le remarque. Tu remercieras la Lune de ma part. Je ne sais pas si je ne pense ce que je dis – je ne sais pas si je crois ce que je raconte. Mais qu'importe. Je suis prête à danser pour les étoiles si elle le veut vraiment. Je veux bien faire semblant si son sourire ne s'éteint pas.
Ma main s'empare de ses doigts, comme pour les faire s'appuyer un peu plus sur ma peau froide. Réchauffe-moi. Brûle ma peau, même, si tu veux... Réchauffe-moi. J'esquisse un sourire un peu plus grand, un peu plus franc, un peu moins timide. Toi aussi, tu es belle Lulu. Belle comme. je ne sais pas les compliments, je n'ai jamais su les compliments. Elle est belle comme la vie, mais je ne sais pas trop si c'est une chose qui se dit. Alors je pose mes lèvres sur son front, comme pour me faire pardonner. Excuse-moi Lulu.

Elle agite la tête, Kishi, comme si elle ne croyait pas à ce qu'elle lui dit. Pourtant Lulu a toujours raison, elle devrait le savoir. Si Lulu dit que la lune l'éclaire pour mieux révéler son visage, alors c'est le cas. Si Lulu dit que les étoiles brillent toutes dans le ciel, ce soir, parce qu'elles sont curieuses et qu'elles les espionnent, alors c'est le cas. Si Lulu dit que le lac est calme parce qu'il ne veut pas les distraire, qu'il préfère se faire discret en attendant le moment où il faudra les inviter à y venir, alors c'est le cas. Si Lulu dit que les oiseaux sommeillent dans un arbre, pour ne pas les déranger avec leurs bruissements d'ailes, alors c'est le cas. Écoute-la, Kishi. Laisse-toi entraîner dans son monde. Tu verras, comme c'est facile d'y glisser. Doucement, sans faire attention, et tout autour de toi prend un sens différent. Tout acquiert une vie.

- Tu remercieras la Lune de ma part. Un sourire naît sur ses lèvres et éclaire ses yeux. Tu les vois devenir plus bleus, plus purs ? - C'est promis. Au fond, la lune, c'est un peu Lulu, aussi. C'est vrai qu'elle a la tête dans les étoiles, toujours. Et puis surtout, c'est elle qui la dévore des yeux, jours et nuits, comme pour mieux graver les détails de son visage. Elle voudrait lui donner à son étoile, pour qu'elle le voit chaque fois qu'elle lève les yeux vers le ciel. Pour pouvoir le dessiner les yeux fermés. Pour le connaître par cœur. Pour ne jamais l'oublier. Kishi est Andesquacaon. Sans Kishi, Andesquacaon n'est pas. Sans Andesquacaon, Kishi n'est pas. Les deux sont liés. Cela la rassure, Lulu, un peu. Elle ne partira jamais d'ici alors, elle ne la perdra jamais ?

- Toi aussi, tu es belle Lulu. Belle comme. Elle a un petit sourire, hoche la tête. Les douces lèvres de Kishi viennent embrasser son front. Elle ferme les yeux, le temps de la caresse mais tarde à les rouvrir. Ses paupières restent closes, comme si elle craignait qu'en les rouvrant, elle ne fasse disparaître sa compagne. Que la belle s'évapore dans la nuit. Si elle est partie ? Que fera-elle ? Si elle disparaît sans prévenir et que jamais elle ne revient ? Kishi. Que fera-elle si elle s'éloigne pour toujours ? Si les nuits ne leur appartiennent plus ? Si le lac n'est plus leur ?
Kishi que ferai-je si tu n'es plus ma nuit si tu n'es plus mon étoile si tu n'es plus rien si tu n'es plus pour moi ?
Kishi réalises-tu que tu es la seule à teinter ma joie de mélancolie ?
Kishi ton prénom vient caresser mes lèvres quand je le prononce tout bas.
Kishi reste contre moi.
Kishi ne m'échappe pas.

Débordante imagination, pleine de couleurs et d'idées qui la traversent comme des comètes et qui parfois s'y écrasent et passent ses lèvres. Chaos sans nom. Mais joliment, un peu, au fond.
- Merci. C'est un joli animal, je crois. On dit qu'il a des plumes de toutes les couleurs, de grandes plumes encore plus grandes que celles des paons et encore plus belles. On dit qu'il chante, tous les soirs, avant de s'endormir. Pour endormir les autres, et pour s'endormir lui-même. On dit que quand il aime quelqu'un, il aime pour toujours. Je crois que je l'aime bien. Il a l'air plutôt gentil et pas trop arrogant pour un oiseau. C'est vrai que d'habitude, les jolis oiseaux, ils ont tous pris la grosse tête, tu sais. C'est normal, ils se regardent toute la journée dans leur joli plumage et ils nous regardent, nous, et ils rient. Ils nous trouvent laids, je crois, sans plumes. Sauf toi. Toi tu brilles. Mais cet oiseau, il n'est pas pareil. Tu ne le trouves pas bizarre, toi ?

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(la fée)

Ses paupières se ferment. La lumière s'éteint. Partie ailleurs. À l'intérieur. La lumière n'est plus, je suis dans le noir à nouveau. La nuit m'avale, doucement. Je me laisse couler. Je me laisse prendre, sans cri, sans peur. Je ne me débats même pas, puisque je sais qu'elle est là, même les yeux fermés, je sais qu'elle est là. Qu'elle veille. Qu'elle m'entend. Qu'elle me sent. Qu'elle me sait. Mon corps, si proche du sien, de sa chaleur, de sa douceur, ressent chacune de ses pulsations. Vie. Là où la vie est. Là où la vie bat son plein. Là où la vie mérite d'être vécue : pas à moitié, pas même pour de faux, non. La vie. La vraie.
Mes yeux dévorent son visage avec une avidité sans nom, une gourmandise presque boulimique, une envie que n'importe qui trouverait dérangeante. Son nez. Son front. Ses cheveux un peu fous que le vent fait voler, doucement. Ses joues. Ses paupières blanches où quelques veines violettes transparaissent. Son menton. Sa bouche.
Je pourrais dessiner son visage de mémoire – mais à quoi me sert le souvenir de ses traits si je refuse de le peindre dans mon esprit une fois le jour levé ?

Doucement, je ferme les yeux. Au dedans de moi, il fait presque jour. Et quand sa voix s'élève, je vois les couleurs. Je ne comprends pas les mots, je ne cherche pas à les décortiquer, à leur trouver un sens. Je ne m'attache pas à leur réalité – qui n'existe plus, une fois qu'ils ont passé les lèvres de ma belle. Les couleurs s'allument. Du bleu, du rouge, du jaune. Elle esquisse pour moi un tableau de choses que je ne connais pas. Que je suis incapable de voir. Œuvre d'art où la nuit côtoie le soleil, où les étoiles et l'oiseau sont amis, où les plumes couleurs de vie se transforment en miroir éternel et où l'amour ne dure pas qu'une nuit. Où l'amour dure tout la vie. Alors je vois Lulu, Lulu dont les yeux bleus brillent sous le soleil qui chante, haut dans le ciel. Lulu qui court, Lulu qui tourne, Lulu même quand les étoiles ne sont plus et que la Lune dort de l'autre côté de la Terre. Lulu dans la forêt, Lulu qui vole après un oiseau qui n'existe pas, se pose sur un nuage et m'invite à la rejoindre tout là-haut. Alors j'escaladerais un arbre à l'allure millénaire et.
Les yeux fermés, je me laisse porter par les rêves qu'elle allume. Ce ne sont pas ses histoires que j'écoute. Pas que. C'est une autre histoire que j'écris. Une histoire où je serais belle, belle comme elle. Une histoire où je n'aurais pas peur, une histoire où je n'aurais pas honte, une histoire où l'amour ne serait jamais trop grand pour moi.

J'ouvre les yeux quand ses mots se taisent. Son regard bleu est là. Il est bien là. La lumière m'englobe à nouveau. Si je le trouve bizarre ? Un oiseau qui me donnerait envie de monter à la cime des arbres pour prendre ta main tendue et voyager sur un nuage ? Si, il est étrange. Un pas en arrière. Je regarde les arbres et Gontara qui veille sur nous, qui nous surveille. Je regarde tout, tout ça, tout autour de nous. Et je ne le vois pas. L'oiseau. Où est-il cet oiseau ? Où est-il ? Je voudrais le trouver. Je voudrais que ce soit vrai. Qu'il soit beau comme Lulu et qu'il me dise comment on fait.
L'impatience me tiraille. Mes doigts saisissent la main de Lulu, de la fée, de l'étoile filante. Je ne lui laisse pas le temps de répondre. Je voudrais le voir. Je voudrais lui parler. J'ai des choses à lui demander. Il a des histoires à me raconter.

Et s'il ne vivait qu'à l'intérieur d'elle, de son crâne, de son cœur et qu'il me suffisait de me pencher, un tout petit, pour le voir. Pour y croire, y croire, y croire. Pour caresser du bout des doigts ses plumes magnifiques et pour entendre son chant rêvé. Et si je pouvais le cueillir, sur ses lèvres à elle. Et dessiner le reste de l'histoire toute seule.

Quand elle rouvre les paupières, c'est celles de Kishi qui sont closes. Elle a un air paisible, sur le visage. Comme si elle était partie. Ailleurs. Comme si elle s'était laissée prendre à l'histoire, pour atterrir dedans. Pour la changer, pour la compléter. Lulu détaille les traits de son visage, toujours. Elle voudrait s'avancer et doucement effleurer ses lèvres. Comme ça, tendrement.
Tout s'est arrêté, le temps s'est figé, le reste du monde s'est figé. Et quand ses yeux se réveillent, tout reprend vie, et bouge à nouveau.
- Si, il est étrange. Ses yeux se font plus lointains. Elle regarde. Elle observe. Attentivement, tout autour d'elles. Qu'espère-elle trouver ? L'oiseau étrange qu'elle vient d'apprivoiser ? La trace d'une autre présence ? - Ce qui est beau est souvent étrange. Tout comme ce qui est différent. Mais c'est ça qui le rend plus beau encore. Toi aussi, Kishi, tu es belle. Tu ne ressembles à aucune autre fille, à aucune autre personne. Tu es différente de tous. Tu es unique. C'est pour ça que. Tu es belle. Belle. Qu'avec toi, je ne m'ennuie jamais, je n'ai jamais envie d'ailleurs, de plus, d'autre chose. Je n'ai jamais envie de tourner vite vite, de courir à travers champ, pour m'éloigner, pour rire plus, pour penser à autre chose. Les fées-papillon perdent leur éclat près de toi. Quand tu es là, ni les enfants-nénuphars, ni les moutons-nuage n'ont d'attrait. Quand tu es là, tout le reste semble si fade.
Reste près de moi, et tu seras mon monde. Tu seras le centre, tu seras le soleil. Tu seras la vie. Tout tournera autour de toi. Tu seras le principal. Tu veux bien, dis-moi ?

- Où est-il cet oiseau ? Petit sourire. Il faut rêver et se laisser porter par le rêve. Il faut lui expliquer, qu'elle doit lâcher prise. Viens Kishi. Laisse-moi t'aider à t'envoler. Tu verras comme c'est beau, là-haut, où tout est possible. Laisse-moi t'emmener, s'il-te-plait. Je te montrerai mon monde et tu le feras tien, si tu le veux bien. Veux-tu bien ?
Sa main qui s'éprend de la sienne semble être une réponse. Ses lèvres s'entrouvrent à nouveau, pour laisser passer une avalanche de mots. - Je voudrais le voir. Je voudrais lui parler. J'ai des choses à lui demander. Il a des histoires à me raconter. C'est bien, elle se laisse emporter. Elle pénètre dans son monde, doucement. Cet oiseau est la porte ouverte. Trouve-le et grimpe dessus. Il t'emmènera près de moi.
- Il est partout. Tu ne le vois pas ? Il se repose dans les arbres, vole dans le lac, navigue dans le ciel. Il est en toi, en moi. En tous. Lulu serre ses doigts, promène ses yeux dans son âme. Elle est jolie, l'âme de Kishi.
- Si tu fermes les yeux, quand tu rentreras et que tu t'étendras sur ton lit. Si tu fermes les yeux et que tu y penses très fort. Attention ne les rouvre pas. Alors. Il viendra. Si tu y penses suffisamment fort. Je te le promets. C'est beau, les promesses. C'est frais et tiède, c'est léger et profond. Éternel, surtout. Une promesse qui dure pour toujours, qui s'embrase pour toute la vie et qui ne s'éteint jamais. Qui continue de brûler à jamais. Tout a un goût de promesse, cette nuit, et toutes les autres nuits. Une promesse de toutes les autres nuits qui vont suivre. Une promesse que ces instants sont vrais et. Purs. Et qu'ils seront toujours là. Une promesse qu'ils comptent. Malgré l'absence. Malgré les regards qui se détournent et qui l'évitent. Malgré le soleil qui se lève et qui les éclaire trop pour montrer les sentiments cachés. Une promesse que la nuit est leur. Que la lune et les étoiles veillent. Que la nuit leur sera suffisante. Puisqu'elles n'ont que ça. Une promesse de ne jamais être triste, en repensant à ces moments. Parce qu'ils auront existé, même si la lumière vient les effacer. Inexorablement.
C'est vrai que c'est facile d'être triste. A chaque fois que ça semble avancer, la journée les fait systématiquement reculer.
Mais Lulu n'est pas triste. Elle n'est jamais triste. Pourquoi le serait-elle ? Ne serait-ce pas nettement plus triste de ne pas les vivre, ces moments ?