(mahpee) la rage au ventre.

La rage, l'énervement, la colère. Venue de nulle part. Sortie de nulle part, comme un cheveu sur la soupe. Comme une invocation divine, mais malsaine. Cette haine au fond de moi me poussait sans cesse à devenir violent, colérique, agressif. Dans ces instants-là, quand je sentais que cela montait, que cela allait prendre le dessus sur ma personnalité première et ma raison, je partais. Je quittais le village. Je m'aventurais en forêt. Énervé, furieux, en rage contre l'univers tout entier et avec cette envie de jeter des poings. Qui le plus souvent se fracassent dans les troncs d'arbre. La nature n'aime pas cela. Mais elle me laisse faire. Parce qu'elle sait que c'est le meilleur moyen pour moi. Alors elle prend les coups, se sacrifie pour que je gagne la paix intérieure. Et je ne la remercierai jamais assez pour ça. Cette fois, dans mon escapade enragée en forêt, j'étais muni de mon carquois et de mes flèches. Chose dangereuse, c'était certain. Mais toucher une cible avait le don de me calmer, de m'assagir pour les quelques minutes, voire l'heure qui venait. Courant à travers les feuilles, les buissons et les brindilles, je provoquais du remue-ménage et du bruit alentour, et j'entendis un bruit. Un genre de rongeur détala à ma droite, profitant des buissons pour se camoufler durant sa course. Un buisson puis un autre. Sans réfléchir, enragé, la fureur se lisant sur mon visage malsain et crispé, je décochai une flèche qui se planta sur l'humus, quelques secondes après le passage de l'animal. Un cri de rage sort de ma gorge tandis que j'en décoche une nouvelle, avec le même résultat. Dans ce genre de moment, je refuse l'échec. Je le recois très mal, encore plus mal que d'habitude. Ne prenant même pas la peine de reprendre mes flèches pour le moment, je balance mon carquois et mon arc un mètre plus loin, fou de rage. Je laisse ma colère sortir, je crie, je hurle d'une voix rauque et menaçante. Je rumine, je fais les cent pas puis enfonce mon poing dans l'écorce d'un arbre. La douce nature prend mes coups.

La forêt. La grande et belle forêt. Je pense que je pourrais marcher des heures ici, pieds nus, pour sentir l'humus à même la peau. Pour me sentir forêt. Je quittais le village pour apprendre à devenir un indien, un vrai. Même ici, même au milieu de tous ces étrangers, je continuais à me sentir un peu trop iranien. Je ne pouvais pas encore me mêler dans la foule et me sentir parmi les miens. Il faudrait du temps, et ce serait sûrement très long, mais je n'y voyais pas d'inconvénient. Je voulais prendre le temps. Et profiter de chaque jour passé ici. Je voulais sentir mon âme d'enfant s'évaporer au fur et à mesure. Pour devenir plus homme, plus grand. Un cri de rage me tire de mes pensées, presque violemment. Et je sursaute parce que le silence est tellement grand ici, tellement vaste qu'il occupe tout l'espace. Je me dirige vers la source de ce cri, la curiosité et la peur m'animent, c'est une drôle de sensation. Une sensation qui procure de l'adrénaline dans mes veines. Puis je le vois, je le reconnais. C'est Sahale. Sahele dans toute sa splendeur destructrice. Il jette son carquois à terre avec une violence qui m'effraie. Il hurle encore, et ça me fend le cœur. Je n'aime pas le voir comme ça, je déteste la haine qui vit en lui. Je la déteste de prendre autant de place dans son esprit, et de se déclarer pour des choses futiles et vaines. Caché derrière le tronc d'un arbre, je le regarde qui exprime sa haine. Un géant immobile reçoit la colère de Sahele. Je vois les poings qui frappent, qui frappent l'écorce. Il a mal et il fait du mal. Je sors de ma cachette inutile et je cours vers lui. Je le pousse sans force, et j'attrape ses phalanges blessées. Je les canalise dans mes paumes d'enfant. Arrête, arrête Sahele. je le regarde droit dans les yeux. Ses pupilles, elles ont la couleur de l'amer, elles transpirent l'animosité. Tu ne devrais pas te faire tant de mal. Tu n'as pas besoin de t'énerver, comme ça. l'enfant qui sommeille en moi prend le dessus, comme ça, lentement. Je lâche ses mains, et j'entoure Sahele de mes bras. Parce que je ne sais pas quoi faire d'autre pour le calmer. Je l'étreins avec une force tranquille, qui semble dire que tout va bien, que tout ira bien. Je ne sais pas comment il interprète mes étreintes trop souvent répétées. Parfois j'ai l'impression qu'il est surpris, parfois je pense qu'il y a un semblant de reconnaissance.