A l’est d’Eden, on trouve la Californie. Cali-cali-california, pays de Nôd, pays du lait et du miel et du sang et du whisky. Pays couvert de fleurs d’un or crémeux, de pêches juteuses dont le jus doux et collant coule sur les doigts quand on croque dans la chair molle et tendre, de laitues vert pomme, de champs à perte de vue. Pays d’abondance, don de Dieu aux hommes assoiffés qui traversèrent le désert pour s’en emparer et l’arracher aux mains des Premiers Hommes. Pays du soleil qui brûle la peau et de la mer salée qui vient emmêler les cheveux et ronger les lèvres. Pays du bitume, enfin, pays des néons et du ciel blanc de chaleur. Des maisons identiques à perte de vue, défiant l’océan, opposant leurs murs sablés à la force de l’eau, crevant sous le soleil dur. Banlieues anémiques, écrasées par la même sensation d’angoisse qui ne dit pas son nom, l’angoisse qu’on étouffe à coup de sourires et d’anxiolytiques en attendant le retour du mari et des enfants. Silences pesants, surfeurs en attente de la vague. Tout un monde suspendu. Un monde hors du monde. C’est ça dont il se souvient le plus. Les attentes interminables, sur le trottoir devant l’école, devant le terrain de football, dans les magasins. Sa mère oubliait souvent de venir le chercher. Alors il rentrait à pied, et quand il arrivait, il la trouvait sur le canapé, les joues barbouillées de mascara comme une enfant qui se serait roulée dans la saleté, ou debout devant la fenêtre, à regarder sa vie passer devant elle sans qu’elle n’ait la force de l’attraper, abrutie par les médicaments. Cali-cali-california, quel est donc ce mal qui te terrasse ? Ca sent la cigarette et la menthe dans le salon, il peut encore le sentir. Invariablement, elle relevait le regard vers lui, essuyait ses larmes ou reniflait et s’agenouillait en face. « Eden, Eden, mon tout petit, c’est la dernière fois, je te promets. Je suis désolée. Tu ne dis rien à papa, d’accord ? » Et il opinait du chef, vaguement conscient que c’était des mensonges mais jouant le jeu. Alors elle se relevait, lissait sa jolie robe et se dirigeait vers la cuisine. Il adorait la suivre là, la voir s’éveiller, tremper son doigt dans la sauce, goûter tous les plats, la voir se pencher sur le livre de recettes. Il faisait ses devoirs dans cette pièce, sur la nappe cirée. La nappe cirée, rouge et blanche à carreaux, il s’en souvient encore. Elle posait les assiettes, pliait les serviettes, le chassait en riant et il allait prendre son bain. Entretemps, papa serait arrivé et il serait temps d’aller manger, et puis peut-être de faire un caprice pour regarder la télévision. Et tout ça aurait pu continuer. Il aurait même atteint l’âge adulte sans jamais se rendre compte du tour de passe-passe.
Un jour – c’était un lundi, un lundi, parce qu’il a eu cours d’histoire ce jour-là – comme les autres, elle n’est pas venue et il doit rentrer seul du collège. Bof, il a l’habitude. Il traîne un peu, trouve un caillou dans lequel il frappe pour s’amuser. Le football lui a toujours plu. Peut-être qu’il deviendra professionnel, un jour ? Peut-être. Il tourne dans sa rue, qui s’étend à perte de vue. La rue semble onduler, on crève de chaleur ici. Le soleil a blondi ses boucles rousses. Il sautille sur le trottoir, s’invente une marelle imaginaire. Bientôt les grandes vacances, est-ce qu’on ira voir les grands-parents ? Il aimerait bien aller en Floride, à Disneyland. Ou peut-être voir les Grands Lacs. Il les a vus en photos dans un magazine de son père, quand il est allé chez lui la semaine dernière – papa est parti l’année dernière, et il a une nouvelle copine, mais bon, ça va. Les Grands Lacs, ça lui plairait bien. Il farfouille dans son sac, fait tomber ses clés, ouvre la porte, jette son sac dans l’entrée et pénètre dans le salon, par habitude, par lassitude. Elle est là, étendue sur le canapé. Elle porte une robe couleur anis et ses longs cheveux blonds sont éparpillés sur le coussin rose pastel. Elle s’est endormie. Sur la table basse, il y a un verre d’eau presque vide et le flacon de cachets. Vide. Cali-cali-california, le mal t’a eue. C’est foutu.

Howakhan revient en sursaut, le front moite et la bouche sèche. Il lève les yeux vers Nanaka qui le considère gravement, tristement, comme si elle savait. Il déglutit péniblement, se lève. Tous ses membres sont engourdis et il se remue un peu, de façon à ce que la vie revienne au bout de ses orteils et de ses doigts. Il ne fait aucun commentaire, de toute façon, à quoi bon ? L’encens est froid et la pénombre a gagné la tente. « Bonne nuit. » Est-ce sa voix ou celle de Nanaka ? Il ne saurait le dire. Maladroitement, il quitte la tente et s’enfonce dans la nuit couleur de cendre, sans néons, sans étoiles mécaniques. Cali-cali-california.

Citation :

ancien métier - meurtrier, vagabond. statut civil - fuyant.

un deuxième fuyard.

ton titre
j'aime énormément le pseudo et je te souhaite la bienvenue sur puckwood

richaaaard. super choix, hâte de savoir ce que tu vas faire de ton personnage. bienvenue

il est trop cool, (évidemment grave mignon, aussi), et ta fiche est très belle. le souvenir m'a beaucoup plu.

officiellement bienvenue, alors