Toutes les âmes de la communauté s’agitent doucement à l’idée du feu de joie de ce soir, comme des gamins en camp de vacances scout qui attendent avec impatience leur moment privilégié, le soir, au milieu des airs de guitare et des histoires qui font peur. Ici, les histoires ne font pas peur, au contraire. Les histoires font rêvés, elles nous transportent, nous emmènent loin. Elles sont magiques. Littéralement. Les pieds de Fabien, d’Iye viennent le conduire directement au bord des flammes, déjà allumées alors que la lune n’est pas encore à son maximum. Assis sur l’un des bancs faits de vieux tronc d’arbres couchés, il se penche en avant, et contemple un instant les flammes, qui viennent briller dans ses pupilles, qui viennent les faire étinceler comme des diamants dans une bijouterie. Il les fixe toujours, ces flammes. Avec insistance. Et étrangement, son cœur se met à battre la chamade. Comme si quelque chose devait se passer, là, maintenant, tout de suite. Iye fronce les sourcils, bouge légèrement son regard pour montrer qu’il n’appartenait pas encore vraiment au maître feu. Pourtant, son regard reste toujours sur elles, sur les belles qui dansent doucement, qui virevoltent, qui vacillent. Sa main droite se tend, dévoilant un tatouage au creux du coude que personne n’a jamais réellement remarqué, que personne n’a jamais vraiment voulu deviner. Comme celui derrière son oreille, minuscule et pourtant toujours présent. Ses doigts, doucement, rejoignent le dessus du feu ardant qui crépite à ses pieds, ce feu qui, au final, n’est que les prémisses de ce qui est à venir, du grand feu qui viendra éclairer les visages et réchauffer les cœurs une fois que tout le monde sera là, ensemble. Ensemble. C’est cette perspective de l’ensemble qui l’a poussé à amener Simon et Louis avec lui. Doucement, ses yeux se ferment, ses doigts menaçant de se laisser tomber dans les flammes brûlantes. Et il se concentre sur son cœur. Là, sans rien dire, sans rien regarder. Son cœur et la chaleur des flammes qui viennent le faire brûler, brûler doucement, presque avec une tendresse déconcertante, une tendresse paradoxale. Et un léger soupir.

Je pense à l'oiseau vent qui fait les tempêtes et qui ce soir souffle sur le feu vigoureux une brise tendre. Je suis sur la terre brute, le dos contre l'arbre couché, près d'Iye encore silencieux ; je suis là depuis longtemps : j'ai vu sur le sol de la place le soleil décliner, danser lentement avec les ombres mouvantes et ambigües des arbres géants, et puis soudain l'opalescence ténébreuse des soirées brûlantes. Tout le monde n'est pas encore arrivé ; les anciens restent longtemps encore dans les maisons aériennes, et les chasseurs apparaissent comme des spectres à la lisière de la forêt sombre. Je jette autour de moi un regard circulaire sur ces visages familiers, ces sourires éternels, et la beauté étrange d'une habitude qui chaque jour me revient avec la même intensité, la même poésie, droit dans le cœur comme un coup porté par surprise ; ils connaissent nos voix, leurs modulations, le rythme de nos syllabes, la fluidité de nos ponctuations, ils connaissent nos légendes et nos aberrations, les mensonges ajoutés, les détails oubliés, les noms de leurs héros, les grandeurs de leurs créateurs, et moi le son des rires qui viendront ponctuellement, la mélodie modulée des tessitures qui entonneront un chant, les accords de la guitare répétés sans cesse ; ils connaissent et je connais et néanmoins nous sommes, encore, et encore, et il n'y a rien de plus intime, de plus superbe que le feu au cœur du village, les troncs couchés, la terre meuble sous mes mains qui la modèlent, l'effluve suave de la forêt vierge dans l'humidité des lourdes chaleurs. Je fais passer à Iye la tige de tabac que je laissais, pensif, se consumer entre mes phalanges. « tu savais que c'était les cheveux brûlés d'un Bon Esprit ? », je demande machinalement, parce que je me doute qu'il sait, je me doute de l'avoir déjà dit, d'avoir embrayé sur la légende entière, et bizarrement je suis grisé de fumer non pas des feuilles terrestres, mais la crinière consumée d'une allégorie défunte. Je lève les yeux et Tala est arrivée silencieuse, s'est pliée silencieuse, jusqu'à la terre, mouvante discrète dans la nuit qui la caresse et la dissimule, mille fois séduite, mille fois traître. Le feu jette sur sa peau sombre des éclats joyaux, et des silhouettes animales ; des gouffres, des abîmes, et surtout la cavité infinie de ses prunelles obscures. Je détourne le visage et offre ma main, levée, à Iye, pour qu'il repasse la tige offerte.

Et soudain, les yeux d’Iye se défont de l’étreinte des flammes pour croiser, furtivement mais tout de même, ceux de Tala. Tala. Tala qui, au fond, lui est étrangère. Tala à qui il n’a jamais réellement parler. Tala qui semble différente, pourtant, des autres. Il la détaille, quelques secondes, courtes, le temps d’esquisser un léger sourire à peine visible. Et pourtant, bien présent. Le genre de sourire que l’on ne voit que si l’on se concentre, que si l’on en vient à le chercher sur le visage d’Iye. Comme un sourire un peu absent. Un sourire appartenant à un autre visage. Une main se tend vers lui. Une main qui, cette fois, n’est pas métaphorique. Elle est présente, bien présente. Et il la connait, la reconnait. Il l’a déjà serrée à plusieurs reprises, détaillée lors de ces passages de tiges comme ce soir. Doucement, ses doigts viennent à la rencontre de ceux de Kele, les effleure en saisissant ce brin qu’ils lui tendent, un brin fumeux, qui dégage une odeur entêtante et pourtant cent fois plus agréable que celle d’une banale cigarette. Ici, tout est plus agréable. Tout. Lentement, comme dans les vieux films, les petits clichés qu’il aime tant, il la porte à sa bouche, inspire. Et il sent la fumée se disperser jusqu’à ses poumons, dans une étreinte doucement meurtrière, avant de reprendre le chemin inverse pour ressortir par ses narines. Et il recommence. L’effet se fait de suite ressentir sur lui. Son esprit se brouille légèrement. C’est plus agréable que la simple cigarette, plus fort que ces bédots qui passaient de mains en mains dans les soirées parisiennes, celles auxquelles il avait fini par s’habituer, celles qui lui ont donné envie de partir. Et maintenant, son esprit est embrumé. Comme si la fumée n’était guère vraiment ressortie de son corps, comme si elle avait trouvé un chemin caché à travers lui pour atteindre son cerveau, sa tête, son âme. Il expulse lentement le reste de la fumée. Des questions commencent à envahir son esprit. Qui est-il ? Est-il plus Iye que Fabien, Fabien qu’Iye ? Qu’est-il devenu, d’ailleurs, Fabien ? Qu’a-t-il fait de son année ? Où est-il ? Est-ce qu’il appartient encore à Paris ? Ou peut-être que la capitale l’a libéré de ses chaînes, l’a laissé s’envoler ? Il soupir. Et tire une nouvelle fois, tandis que la voix de Kele résonne comme dans un écho dans sa tête.
– Tu savais que c’étaient les cheveux brûlés d’un bon Esprit ?
Un sourire se dessine sur le visage d’Iye. Un sourire dont lui-même ne connait pas la signification. Ses yeux, une nouvelle fois, se rivent sur Tala, sans vraiment savoir pourquoi. Peut-être parce que son visage, strié par les flammes qui les séparent, dégage une aura particulière. Doucement, lentement, les doigts d’Iye rejoignent ceux de Kele pour lui faire passer ce qu’il désire – est-ce seulement vraiment ça, son désir ? Et il finit par répondre :
- Il parait. C’est étrange de se dire ça, un peu. C’est comme avoir quelqu’un en soit, sans aucun contact physique, comme il faudrait normalement. C’est.. bizarre.
Ses yeux sont dans le vague, le vague des flammes, des flammes qui continuent de danser, de vaciller. De l’attirer, presque.

La nuit est enfin tombée sur la forêt, même la lune qui est pleine n'éclaire pas les sentiers. J'ai passé ma journée sur le lac a observer tantôt les nuées, tantôt l'eau placide. La pêche a été fructueuse. Ce soir il y avait comme un rassemblement, un concept dont mon cerveau n'avait pas encore percé les mystères. Peut-être étais-je encore trop urbanisé ? Cela faisait peu de temps que j'étais arrivé ici, moins d'un an, et le souvenir des grands buildings était encore frais dans ma mémoire. Chaque jour, je découvrais de nouvelles choses, je m'émerveillais devant un rien, devant une beauté simple et naturelle. Chaque jour je savais que je devenais un peu plus Pannoowau Mahpee. Jamshid Sadeqi commençait à se dissoudre dans les brumes du passé. L'enfant terrible et sous-doué trouvait enfin sa place, il trouvait enfin un endroit où s'asseoir sans se sentir étranger. J'arrive enfin au village, j'ai les bras chargés de saumon. Je dépose mon filet garni à l'endroit où tous les autres ont donné leurs offrandes. Je ne suis pas seul, je reconnais le visage de Kele là-bas. Il parle avec un autre garçon, je crois qu'il s'appelle Iye. Je ne le connais pour ainsi dire pas très bien. Je salue donc l'ami conteur d'un signe de tête, et un sourire franc vient habiller mon visage. Un visage familier se trouve proche des flammes. Tala. La jolie qui état bien trop louve. Mon cœur fait un léger soubresaut, je suis presque content de la savoir ici. Je m'approche d'elle, et je lui souris avec bienveillance. Le feu éclaire sa peau d'une manière si jolie. Je m’assois en tailleur à ses côtés. Bonsoir, Tala. je lui chuchote. Mes yeux viennent se poser sur Kele. J'espère très fort qu'il va nous conter une légende. J'aime l'entendre dire des légendes, j'aime l'écouter et imaginer toutes ces histoires empreintes de magie. J'aime écouter sa voix, qui prend un ton si particulier quand il dit le passé. Je me sens comme un enfant à qui l'on raconte une histoire avant de dormir. Mes pupilles glissent sur le ciel. C'est un grand panorama étoilé. C'est magnifique, il y a tellement de beauté dans les étoiles. Il y a tellement de magnificence dans un ciel, tellement d'endroits inaccessibles réservés à ceux qui savent voler.

Le nez dans les fourrures, don de la chasse, Mahala était assise en tailleur au détour d'un arbre. Ses yeux en amandes, noirs, délicatement posés sur l'étoffe, ne se détachaient pas d'elle. Son manteau avait été déchiré plus tôt dans la journée et le froid passant à travers cette plaie, lui mordait la peau jusqu'à sa chaire délicatement bronzée. Alors, il lui fallait coudre plus vite et se couvrir de nouveau, avant que le soleil ne décline trop rapidement. Le feu brûlait déjà et il ne l'attendrait pas pour se dévoiler plus majestueux que jamais. Elle avait l'habitude de se retrouver ainsi autour de cette source de chaleur, depuis sa tendre enfance, sans pourtant être de ce cercle de privilégié qu'elle admire : les nés ici. Appliquée dans son ouvrage, Mahala ne remarque pas l'arrivée des étoiles hautes dans le ciel, parmi lesquelles une légère fumée annonçant le feu. Ce n'est qu'une fois son manteau recousu qu'elle prêta attention à dame nature et au voile majestueux qu'est le ciel. Alors, elle se leva. Alors Mahala suivit le mouvement qui s'en va et qui s'en vient et qui venait mourir au pied de ce feu ardent. Les âges passaient, mais elle n'en était pas moins désintéressée par le récit des histoires fabuleuses, des légendes anciennes et contes mirifiques. Au contraire, plus elle grandissait en année, plus elle se sentait happée dans la compréhension de ces situations, tantôt vraie, tantôt rêvée ; toujours merveilleusement racontée. Comme le reste de la communauté, elle venait s'installer en tailleurs sur une place, à la fois éloignée du feu sans en être trop loin, son regard montant jusqu'au point culminant des flammes, avant de prendre quelques secondes pour s'imprégner des visages des premiers arrivés, qui comme elle, attendaient. De se laisser emporter et se faire bercer par la voix chantante de Kele le conteur, tandis que ses mains à elle caressait lentement la fourrure apaisante.

Points lumineux dans le ciel, étoiles accueillantes. Aujourd'hui, ce soir, elle ne verra pas son étoile. Elle aurait préféré sauter cette réunion au coin du feu, pour retrouver la princesse, au rendez-vous habituel. Mais elle n'aurait pas été là. Sans doute, la princesse n'aurait-elle pas pu ignorer l'invitation. Elle se joindrait aux autres et son absence déchirerait son cœur comme un coup de tonnerre. Un éclair qui la traverserait toute entière et chargée d'électricité, elle serait encore plus incapable de tenir en place et ne pourrait faire autrement que de bouger bouger bouger toujours bouger sans s'arrêter. Elle ne pourrait plus se tenir tranquille, lors des nuits pleines de douceur, et elles seraient perdues. Et elle serait perdue à jamais. Alors il fallait qu'elle soit sage. Qu'elle oublie l'appel de la lune et de la nuit pour que ses pas la guident sur la place, auprès des autres.

Ces visages, elle les connait. Elle les connait tous. Elle ne connait pas vraiment les gens, mais elle sait qui ils sont. Elle ne connait pas leur nom à tous, mais elle les a déjà vus et elle les reconnait. Elle s'installe dans un coin, près du feu. Elle aime bien regarder les flammes qui dansent sous ses yeux. Qui bougent sans cesse dans un ballet qui la dépasse. Elle aimerait bien savoir ce que ça fait d'être une flamme. Une flamme qui brûle brûle brûle. Une flamme qui brûle pour toujours et qui ne s'éteint jamais. Ce doit être reposant de vivre avec cette certitude, qu'on sera toujours en mouvement et que ce mouvement infini fascinera tellement les êtres qu'ils ne penseront pas à le reprocher. Lulu relève les yeux et observe la fée-lune dans le ciel qui la regarde et lui sourit. Elle ne lui en veut pas, elle comprend pourquoi elle n'a pas pu venir, pourquoi ce soir elle a boudé l'onde miroitante du lac, l'herbe fraiche et les yeux parfaits de son étoile. Les autres, celles qui se tiennent dans le ciel, s'agitent pour manifester leur impatience. Elles sont moins compréhensives que la fée-lune, elles ont du mal à accepter que ce soir, Lulu ne sera pas tout à elles et qu'elles ne pourront pas la regarder tourner vite vite vite avec la princesse. Elles sont mécontentes et font la tête. Quand elles comprennent enfin que tout est raté pour ce soir, elles vont se cacher derrière les nuages ou disparaissent, tout simplement. Elles sont fâchées un peu, mais tant pis. Elles reviendront.
Demain, elles se retrouveront au lac et tout sera comme avant.

Instinctivement, Lulu la cherche des yeux, souhaitant rencontrer son sourire au détour des visages. Ils sont nombreux, un peu. Mais celui de Kishi reste introuvable et le cœur de Lulu reste fermé.
Pas pour longtemps, sans doute, puisque ses yeux rencontrent ceux de Iye. Bien sûr qu'il est là, ce drôle de garçon, qui essaye de l'apprivoiser doucement, comme si elle était trop sauvage pour être approchée. Ce soir, il ouvrira la bouche et de ses lèvres s'échapperont des histoires enchanteresses qui prendront racine dans le cœur de Lulu. Elles nourriront son monde imaginaire et rejoindront celles des autres créatures qui le peuplent. Son royaume plein de fées et de nymphes, de sirènes et d'enchanteurs, d'arbres animés et de créatures. Un petit sourire s'imprime sur ses lèvres, alors qu'elle se rapproche un peu du brasier, et de Iye par la même occasion.

c'était la pleine lune, ce soir, au cœur de la nuit étincelait cette sphère blanche qu'appréciait tant Chogan. elle lui trouvait quelque chose d'envoutant, cette stabilité qui, pourtant, est changeante. à chaque fois. ce satellite si précieux, un allié dans l'obscurité. elle est des gens qu'on dit optimiste, qui pense qu'il y a toujours un espoir quelque part. qu'il suffit d'ouvrir les yeux, d'écouter les indices ou simplement de laisser parler son instinct. mère nature n'est pas hostile si on la respecte, oh non. au contraire, elle est là pour nous aider. nous offrir tout ce qui est nécessaire à notre existence. alors, il y a la reine du ciel nocturne, dame lune. et à ses côtés, tout plein d'étoiles.
mais c'est sur le sol que se trouve Chogan actuellement. elle n'a pas ses ailes d'oiseau noir, elle ne peut voler au cœur des cieux. mais sur terre aussi, la nature nous guide. c'est les effluves d'une fumée s'élevant vers la noirceur, la chaleur qui se propageait à mesure que ses pas la guidaient vers cette source de bonheur ; le feu de camp. autant qu'elle s'en souvienne, elle a toujours adoré ces réunions de la communauté, au cœur de la forêt. quand elle était petite, elle trépignait d'impatience pour ces soirées où elle avait droit de veiller, où elle pouvait entendre les contes de la tribu pour la première fois. ses oreilles étaient chastes, l'émerveillement se lisait aisément dans ses pupilles brillantes et sa bouche restait grande ouverte, à avaler les mots des paroliers. aujourd'hui encore, même si elle connait les légendes, elle retrouve les sensations de son enfance, la magie qui se dégage de ces moments reste totalement inchangée. elle sait simplement mieux maîtriser son corps, garder cette apparence sur d'elle qu'elle estime indispensable pour se faire respecter.
d'un coup d’œil rapide, elle repère Tala, la jeune louve qu'elle affectionne tant, et va gracieusement s'assoir près d'elle. d'un signe de tête, elle salue l'homme à ses côtés avant de fermer les yeux en offrant son visage aux flammes. ce moment, elle le chérit, s'imprégner de ce qu'il l'entoure, son moment à elle. à elle et mère nature.