get to see your face again.

Un sourire se dessine sur ses lèvres fermées. Le rire des enfants qui perce ses pensées ne la dérange pas. Elle les connaît désormais par cœur toutes ces petites voix qui s'élèvent un peu partout. Pourtant, ses yeux, ils fixent le groupe des plus grands d'un regard intéressé. Il y a cet enfant chétif qu'elle observe toujours de loin, ce petit natif qui lui en rappelle un autre. Elle le voit parfois s'illuminer dans un monde qu'elle ne connaît pas. Elle n'aperçoit pas ses deux billes chocolatées découvrir le monde à chaque seconde. Ce regard infantile ne s'accroche pas à la moindre distraction qui peut lui passer sous le nez. Il est ailleurs tout en étant là, se modelant un univers à lui qu'elle a elle-même admiré autrefois à travers le regard d'un souvenir. Elle se demande souvent à quoi il pense, cet enfant. Ici, la vie n'a rien de comparable au reste. Ici, les légendes prennent vie et les souvenirs s'emmêlent pour en construire de nouvelles. C'est facile de s'évader à Andesquacaon. Il n'y a aucune barrière qui risque d'entraver l'imagination, aucune limite imposable qui l'empêche de s'évader dans l'univers qu'il se crée. Elle voudrait être capable de lire en lui, Angeni. Pour le comprendre, pour l'aider, pour le soutenir, elle voudrait être assez forte pour parvenir à faire quelque chose de bien de ses dix doigts. Parce qu'elle est comme ça la demoiselle. Pas assez sûre d'elle, trop effacée, pas assez affirmée, elle cache ses doutes derrière cette carrure forte qu'elle a réussi à se forger avec le temps. Elle a vu la réalité du monde bien trop tôt, se confrontant malgré elle aux douleurs sans pouvoir les esquiver. Et c'est pour cette raison qu'elle a acceptée d'être puéricultrice ici, Angeni. C'est pour éviter de voir ses propres erreurs reprendre vie qu'elle s'est mêlée au milieu des jeunes enfants, retombant en enfance l'espace de quelques heures par jour. Dans les yeux de son protégé, quand elle réussit enfin à croiser son regard plus d'une infime seconde, elle aperçoit ce qu'elle a aperçu dans son propre reflet de petite fille. Cette envie de grandir plus vite que les autres, ce besoin de voir le monde en hauteur, encore et toujours plus haut. Elle aussi, elle a eu envie de devenir adulte avant d'avoir passé le cap des dix ans. Elle aussi, elle s'est imaginée un futur moins commun. Rêvant souvent des secrets de son existence futur. Angeni, tout ça, ça la fait sourire. Elle se revoit gamine, à la recherche d'une destiné exceptionnelle et rocambolesque. Aujourd'hui, elle se retrouve ici, loin des scènes farfelues qu'elle a pu modeler dans son esprit trop grand. Loin des citées géantes qu'elle a pu voir en rêve et qu'elle a fait partager autour d'elle, déballant ses belles paroles aux personnes en qui elle avait confiance. C'est la nature qui l'a finalement recueillie. C'est Andesquacaon qui aura finalement hérité de cette carcasse fragile si souvent brisée. Elle se sent bien ici. Elle a oublié les plans déjà planifiés d'un futur parisien qui l'attendait depuis longtemps. Elle a oublié les rêves en lesquels elle croyait pourtant. Elle s'est livrée à la terre, entièrement, sans résistance. Elle a accepté les contraintes qui n'égalent pas toute la beauté des lieux. Elle a laissé Léa dans un coin de son esprit pour devenir Angeni. Quand elle repense à Léa, son cœur se resserre sur lui-même. Quand elle repense à celle qu'elle était avant, ses yeux se mettent soudainement à briller et parfois, une larme se met à couler le long de sa joue. Malgré tout ce que Andesquacaon peut lui offrir, il y a toujours ce palpitant dans sa poitrine qui ne sera jamais comblé. Ce manque intarissable de sentiment en tout genre qui la malmènera toujours. Le temps passe et les yeux posés sur cet enfant, l'envie de voir celui à qui il lui fait penser naît en elle d'une façon presque maladive. Angeni, elle ne sait pas contrôler ses envies. Elle a perdu le mode d'emploi pour réussir à se détacher trop longtemps de toutes ces personnes qu'elle aime démesurément. Alors qu'elle envahit sans cesse Paco de sa présence, cette fois, c'est Iye qu'elle veut aller retrouver. Elle laisse les minutes défiler, sans pouvoir faire taire ses pensées. Et quand enfin, le soleil décline, annonçant la fin de sa journée, sa détermination n'en ressort que plus grande. Elle ne réfléchit pas Angeni, elle agit. Ses pas la guident dans le village à la recherche du visage qui s'est calqué des heures durant sur une carrure infantile. Elle ne s'arrêtera pas, pas tant qu'elle n'aura pas posé au moins une fois ses prunelles sur ses traits. Elle passe d'un endroit à l'autre, arpente les allées qu'elle connaît par cœur. Elle fait demi-tour, tourne à droite, puis à gauche. Les places se mélangent sous ses pas, ses yeux se posent sur des visages qu'elle a déjà croisés, mais elle ne désespère pas. Un peu tardivement, la possibilité qu'il ait déjà regagné sa cabane perchée au-dessus d'elle lui traverse enfin l'esprit. Ses pas la ramènent jusque dans les grands arbres. Le chemin à suivre, elle le connaît par cœur. Devant la porte en bois, elle s'arrête un instant pour reprendre sa respiration. À force de trottiner dans tout le village, elle a fini par s'essouffler. Elle toque quelques fois et n'attend pas une réponse qu'elle entre déjà. Trop préoccupée à l'idée de devoir faire une nouvelle fois demi-tour. « Iye ? » Qu'elle demande tout haut dans l'espoir d'entendre le son de sa voix. Et ses yeux enfin se posent sur cette silhouette qu'elle a tant cherché. Ses pas la mènent jusqu'à lui et sur la pointe des pieds, elle vient déposer ses lèvres sur sa joue. « Je t'ai cherché partout. » Derrière sa mine pantoise un sourire s’étire et les battements de son cœur se calment. Face à lui, ce n'est pas seulement Iye qu'elle redécouvre, c'est aussi une partie d'elle qu'elle retrouve.